Orelsan contre Jacques Audiard
J'essaie de prendre du recul. Comme tout le monde, j'ai été saisie de la polémique initiée par Ségolène Royal autour de l'ignominieuse chanson "Sale pute" du rappeur normand Orelsan.
Ce texte suggère deux images insupportables (je traduis en français compréhensible) : "tu verras la tête que tu feras en essayant de sucer avec une mâchoire fracassée" et "je souhaite que tu tombes enceinte et je t'éventrerai à l'Opinel". Le reste à l'avenant, violence gratuite et expression crue du dépit comme de la misère sexuelle et sociale de certains jeunes loosers irrécupérables....
Pour ma part, j'estime que ce "coup de pub" que s'est fait Ségolène
Royal en suggérant, menace de suppression de subvention à l'appui, la
déprogrammation de l'"artiste" du festival des Francofolies, a
largement sorti de l'ombre un auteur qui aurait dû y rester
éternellement. (à part ça, mais cela m'est complètement personnel, quand je regarde Jean-Louis Foulquier, je ressens une immense vague de ringardise...)
D'autre part, je trouve les réactions des politiques fustigeant l'atteinte à la liberté artistique et à la censure totalement excessives. En un mot, ce texte ne mérite "ni cet excès d'honneur (référence à Rimbaud) ni cette indignité". En tous cas, le buzz fait autour de cet infâme "machin" génère une publicité gratuite à Orelsan que nul attaché de presse si talentueux soit-il n'aurait imaginé, au coeur de cet été vide d'actualité.
Certes, la violence et l'horreur sont répréhensibles, mais s'agit-il d'une incitation au premier degré ? Et à l'inverse, s'agit-il d'art ? L'émergence de ce texte - archi-mauvais par ailleurs et je ne parle pas de la "musique" archi-nulle qui l'accompagne - ne nous permet-elle pas de prendre conscience de l'état d'esprit d'une part infime - mais au combien dangereuse - de notre jeunesse totalement désocialisée, qui n'a que la violence extrème pour tenter de communiquer son désarroi ?
Se faire
plaquer, la belle affaire ! Mais chaque jour, nous voyons des hommes
perdus commettre des crimes simplement parce que leur femme les a
quittés...et sans doute avait-elle des raisons pour cela : violence quotidienne, justement, manque d'égards, pauvreté intellectuelle, manque d'amour tout simplement... Ils
considèrent leur compagne comme leur chose, un bien patrimonial comme
une bagnole, un portable, ....un Kleenex.....un objet éminemment
personnel et non doué de faculté de penser individuelle ;
la violence conjugale, c'est tous les jours, dans tous les milieux (comme hélas l'inceste), à
travers toutes les origines ethniques ou culturelles.
A contrario, un film
publicitaire comme celui de Jacques Audiard - "La Voix" (à voir ICI) - est tout à
fait symptomatique de cette violence là, qui commence par les mots,
l'insinuation, l'emprise psychologique...Voilà qui fait réflèchir ! (du moins c'est à espérer), voilà de l'art....même si c'est une oeuvre de commande !
Interdire Orelsan ? Mais alors, il faut déprogrammer aussi les séries américaines telles "Esprits criminels" ou "Les Experts" qui passent chaque soir en prime time !
Que cette polémique initiée à des fins personnelles et politiques (de quelque côté que l'on se place) fasse prendre conscience à tous que le tabou des violences conjugales doit être collectivement levé, c'est finalement bon signe. Mais, de grâce, n'accordons pas à "Sale pute" (en interdisant la chanson, ce qui serait la pire des choses) le statut de "texte martyr" comme jadis une certaine chanson de Boris Vian (mais lui, il avait du génie) qui la ferait inscrire à la postérité ! A moins que les Inrockuptibles ne soient dans le vrai en nous présentant le jeune auteur comme plein d'avenir...Mais cela, c'est justement l'avenir qui nous le dira, et alors, sa chanson restera classée dans "l'Enfer" des chansons indiffusables.