Sepharade, roman d'Eliette Abecassis
Il y a quarante ans, Claude et moi fumes conviés au mariage de mon amie d'enfance, Irène, avec Marcel. Nous étions particulièrement fiers d'assister à cette célébration, parmi les rares goys de l'assistance. Une cérémonie au cours de laquelle le rabbin Josy Eisenberg soulignait le caractère exceptionnel de cette union entre une Ashkenaze et un Sépharade.....Je n'avais pas compris l'allusion, ils étaient si beaux tous les deux, et la fête était si joyeuse, bruyante, les femmes parées de lourds bijoux, les enfants triomphants....
En lisant le livre d'Eliette Abecassis, je comprends mieux.
"Esther croyait être française, alsacienne, juive, marocaine, et elle ne savait pas qu'elle était espagnole, et elle était arabe, elle croyait être arabe, et elle était berbère,elle croyait être berbère et elle était phénicienne, et ainsi de suite, depuis le début, le commencement, et jusqu'à la fin des temps."
A travers l'histoire mouvementée du mariage d'Esther Vital et Charles Toledano, Eliette Abecassis nous fait entrer dans les secrets du temps et d'une religion mal connue (on pourrait dire "cabalistique" ?), depuis l'expulsion des juifs d'Espagne en 1492 et leur dispersion à travers le monde et surtout leur imbrication intime au sein de la société marocaine, jusqu'à leur arrivée (et parfois leur retour) en terre d'Israël. En particulier, la puissance parfois étouffante - aussi bien pour les filles que pour les garçons - des liens familiaux et des traditions, y compris ce qui m'a le plus surprise alors que je croyais les Juifs imperméables aux superstitions : le rôle du mauvais oeil !
Donc, une plongée - toujours érudite - dans l'âme sépharade, une explication des différentes manières d'envisager le monde (Weltanschauung ?) entre sépharades et ashkenazes (là, le pauvre personnage, il en prend pour son grade !), un fil pour saisir le risque vital de la laïcisation et de l'intégration, et aussi un hymne poëtique et poignant au paradis perdu, à la beauté du Maroc d'avant l'Alyah : Mogador, Meknès (où mes parents ont vécu sans jamais l'oublier eux non plus) Fès, Marrakech et la Ménara.
Et pour moi, au plus profond de ma culture méditerranéenne et matriarcale, cette constatation : "Nous sommes toutes des juives sépharades !"
456 p. 22€, chez Albin Michel