19 décembre 2009
Les affaires sont les affaires, d'Octave Mirbeau
Cela nous prend comme ça, plus d'une année sans théâtre et puis, crac, deux pièces classiques en moins de quinze jours...Hier soir, au "Vieux Colombier", un texte ciselé et glaçant (O. Mirbeau 1848-1917) sur les pratiques des capitaines d'industrie. Isidore Lechat constitue le portrait poussé jusqu'à la caricature du parfait salopard, parvenu à la richesse et à ce que l'on considère comme le summum de la réussite sociale : outre ses millions obtenus grâce à son intelligence des affaires et à son innocente malhonnêteté et son absence totale de scrupules, il possède un journal, va se faire élire député sous l'étiquette (cette fois tout au moins) de socialiste anticlérical - mais il envoie sa famille à la messe le dimanche.....Tout est bon pour satisfaire sa soif d'activité....en particulier la connivence avec les autorités de l'Etat - en l'espèce le ministère de la guerre - la corruption du représentant de la noblesse locale, ruiné par ses soins, étranglé de dettes, auquel il n'hésite pas à proposer sa fille comme "appoint" à un règlement global qui lui permettrait d'ajouter un dernier château à son domaine personnel.
Le propos est parfaitement transposable à notre époque : délits d'initiés, influences occultes, projets faramineux dénués de logique (faire pousser de la canne à sucre en pays tempéré mais à coup d'engrais spécifiques). Les dialogues sont superbement ciselés. Et, comme nous sommes en présence des comédiens les plus talentueux de leur génération, les Comédiens Français, le texte trouve tout son relief. La progression dans l'intrigue est palpable : une très longue introduction, puis le drame sous la violente critique sociale, mais Isidore Lechat est plus transporté par sa dernière affaire que par le deuil qu'il vient de subir. Il est déjà au-delà, vers quelque vengeance lui permettant de vaincre, encore une fois, celui qui n'a pas cédé à son dernier chantage.
Isidore Lechat rappelle immanquablement les vieux mâles de Molière, qui sont prêts à détruire leurs enfants et leur famille pour poursuivre leur passion (l'argent, la dévotion religieuse, la fausse noblesse ou le sexe tout simplement). Dans les deux dernières scènes, celle qui oppose le spéculateur au marquis, et celle qui l'oppose à sa fille, Mirbeau atteint à l'étincelante férocité de Molière. Et les acteurs suivent, en approchant, eux aussi, le sommet de leur art. Le public ne s'y trompe pas, qui fait un triomphe à Gérard Giroudon, extraordinaire Lechat , à Michel Favory (le Marquis de Porcellet), à Françoise Gillard (Germaine Lechat, la fille rebelle), sans oublier Clément Hervieu-Léger, le fils évanescent et déjà ailleurs.
Mise en scène : Marc Paquien, jusqu'au 3 janvier. Plein tarif : 28€.
Merci. Cela donne envie.