Les derniers jours de Stefan Zweig, roman de Laurent Seksik
La critique de Claude :
Personnellement j’ai toujours été fasciné par le suicide de
Zweig, en février 42. Bien sûr, il avait de quoi désespérer : les Nazis
s’étaient répandus dans toute l’Europe continentale, et les Russes avaient
reculé jusque devant Moscou, mais l’entrée en guerre des Etats-Unis est
effective depuis décembre 41 : si la liberté n’est pas sure de gagner,
elle vient d’aligner « beaucoup de Divisons », et elle mérite qu’on
se batte pour elle.
C’est peut être la clé de l’énigme. De 34 à 41, Zweig a
vécu à Londres, où personne ne lui a rien demandé. Certes, on n’attendait pas
d’un sexagénaire qu’il revête l’uniforme, mais pourquoi les Anglais, d’habitude
mieux inspirés, ne l’ont-ils pas enrôlé dans leur guerre psychologique ?
Pire : pourquoi l’ont-ils traité en « alien
ennemy », sous le prétexte de sa nationalité allemande ? Et
pourquoi les Américains ne l’ont-ils pas, de même, retenu et « enlisté » ? On n’ose pas
conclure : « parce qu’il est juif ? », en pensant à la
vague d’antisémitisme des années 30 et 40 que décrit Philip Roth dans « Complot contre l’Amérique ».
En tout cas, Zweig se sent inutile et rejeté, lui qui a été
une vedette adulée, et il n’accepte même pas les appels à la mobilisation
intellectuelle que lui lancent le rabbin Lemle ou Georges Bernanos.
D’une certaine façon, ce suicide a été un immense succès
pour les tenants de la « solution finale », et donc un crime à
distance.
Si vous aimez Stephan Zweig, lisez ce livre poignant et
bien écrit – un peu trop bien écrit parfois, comme une copie de bon élève -. Si
vous ne le connaissez pas, lisez « Le
Monde d’hier », qui est la plus belle et la plus pertinente réflexion sur l’histoire européenne du XXème
siècle.
chez Flammarion, 188 p, 17 €