16 mai 2010
A propos de "L'étranger", d'Albert Camus
Lorsque
j’étais adolescente, j’avoue que je n’étais pas encline à la lecture, et certes
pas celle de LA littérature qu’on nous incitait à absorber, dans les années compliquées
de l’après-guerre. Tous nos professeurs de lettres puis de philosophie
affichaient un militantisme de gauche absolument convenu. Il fallait avoir lu
Sartre et Camus, l’alpha et l’omega de la pensée existentialiste de bon aloi.
Et cela, je ne l’ai jamais admis. Le premier roman que j’ai lu, à dix-sept ans, fut « Le Christ recrucifié » de Nikos Kazantzakis. De Camus, j’avais lu « La Peste »,
sans véritablement en apprécier à sa juste valeur le style et le talent,
j’étais si jeune.
Avec
toutes ces célébrations de la mort de notre Prix Nobel, je me suis dit qu’il
serait bon de m’y remettre. Après tout, l’Etranger figure à la première place
d’un classement des cent plus grands romans du XXème siècle établi en 1999 par
17000 lecteurs sous l’égide de la FNAC et du Monde (une liste très franco-centrée !).
Dans cette liste, j’ai lu
un petit nombre de textes et suis ravie d’y voir figurer La Condition humaine, le Petit Prince, A la recherche du temps perdu, le Procès, 1984, Le Grand Sommeil, Autant en emporte le
vent, l’amant de Lady Chatterley, Belle du Seigneur, le Lotus Bleu et Blake et
Mortimer. Mais pourquoi l’Etranger
figure-t-il en première place ? Pourquoi ce premier roman écrit en 1942 ?
Et
surtout, est-ce un roman ? Une longue nouvelle, en deux parties, qui se
situe à Alger, en plein soleil. Un très banal employé de bureau, Meursault,
raconte sa vie avant et après le meurtre qu’il a commis contre un homme arabe qu’il
ne connait pas. Dans la première partie de l’œuvre, il est un homme
libre ; tandis que dans la seconde, il est en prison en attendant son procès au
terme duquel il sera condamné à mort.
«Aujourd'hui,
maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de
l'asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués."
Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier.», ainsi commence le
livre.
« Devant cette nuit chargée
de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre
indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai
senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore. Pour que tout soit
consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y
ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent
avec des cris de haine. » ainsi
se termine-t-il.
Le
narrateur est perçu comme étranger au monde qui l’entoure, car il ne se
conforme pas à la morale sociale commune. L’absurdité du crime gratuit, sans
mobile, l’enchaînement des circonstances, le hasard et la fatalité, le refus de
tout compromis et de tout mensonge , l’acceptation du destin, la révolte
vite surmontée, une façon d’exercer, à l’intérieur de l’enfermement, sa propre
liberté.
Camus
déclarait : « Je voulais dire
seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En
ce sens, il est étranger à la société ou il vit, il erre, en marge, dans les
faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des
lecteurs ont été tenté de le considérer comme une épave. Meursault ne joue pas
le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir."
Et
effectivement, aujourd’hui, nous rencontrons une foule de gens qui vivent en
marge de tout et surtout d’eux-mêmes. Triste spectacle !
Cependant,
ne serait-ce que pour la qualité acérée du style, son dépouillement et son
efficacité, la puissance évocatrice des paysages, des sensations et des
couleurs traduites avec une économie de moyens effrayante, j’encourage vivement
ceux qui ne l’ont pas lu (ou lu trop vite, ou il y a très longtemps) à
redécouvrir ce texte fondateur des mythes intellectuels du XXème siècle. Et je
découvre à ce propos que faire une dissertation aujourd’hui, grâce à Internet,
est drôlement plus facile que de notre temps !
L’étranger,
roman d’Albert Camus (1942), publié chez Gallimard, 182 p. (n°2 de la
collection Folio : 4,50€)
Tout à fait d'accord; je l'ai relu il y a 2/3 ans et j'ai redecouvert son style efficace, les idées bien posées; les descriptions simplissimes et si juste.
Bonne journée