25 mai 2017
Le chemin du diable, roman historique et policier de Jean-Perre Ohl
« Le savoir-faire de l’homme est sacré. Son prix doit être gravé dans le marbre. Mais aujourd’hui c’est le marché qui fixe ce prix ! Si un homme a faim, on le paiera moins cher que s’il est repu. Si deux artisans proposent le même service, on invoquera la concurrence pour leur faire baisser leur prix. Aujourd’hui, on n’achète plus seulement la marchandise, on achète aussi l’homme, et au prix le plus bas possible. »
Sous la couverture d’un thriller historique mettant en scène une galerie de personnages célèbres : Charles Dickens enfant, George Stephenson inaugurant la première ligne de chemin de fer, Byron … ce roman à tiroirs recèle un message social radical : la main invisible du marché, la religion du profit deviennent une malédiction diabolique – à transposer aujourd’hui avec la révolution numérique et les effets de la mondialisation - destinée à broyer les plus pauvres, condamnés à mourir dès leur plus jeune âge, rampant dans les boyaux chargés de grisou, écrasés par des balles de coton trimballées à dos d’homme, révolvérisés parce qu’ils ont eu l’audace de se révolter ou même chargés sabre au clair comme lors de la manifestation sanglante du 16 août 1819 à Manchester (15 morts) lors du massacre dit de Peterloo (l’allusion à Waterloo n’est pas fortuite).
A part ce « fil rouge » qui nous rappelle que les effets du progrès technologique ne sont pas bénéfiques pour tous, voici un roman baroque et foisonnant, à l’intrigue embrouillée à souhait, conduisant le lecteur , telle une navette de métier Jacquard, entre l’année 1803 et l’année 1824. Avec des images percutantes, un style raffiné, des scènes captivantes et des personnages hauts en couleurs. Le héros principal est un jeune notaire de Darlington, Edward Bailey, intronisé par l’inquiétant Sir Walter Spalding « juge de paix » dans une enquête bien ténébreuse.
En asséchant une mare, les ouvriers du futur chemin de fer ont mis au jour le squelette d’une femme. Immédiatement, on songe à une disparue célèbre de la région : Lady Mathilde Beresford, la belle française ancienne maîtresse de Danton que Robert Beresford a ramené plus de vingt ans auparavant de son séjour à Paris et avec laquelle il se disputait violemment. D’autant qu’à côté du squelette, on a trouvé un poignard frappé aux armes des Beresford …
Edward Bailey est efficacement aidé dans ses recherches par son clerc, Seamus Snegg, un bien attachant collaborateur. Car la tâche est ardue, tant d’années après la disparition soudaine du couple Beresford … Et bien des intérêts divergents compliquent tout : les hobereaux locaux qui vont perdre le bénéfice de leur route à péage dès l’arrivée du chemin de fer, la vengeance de survivants au massacre de Peterloo contre le policier sans scrupule Alfred Cobbold, les liaisons tordues de la famille Beresford, la folie de Marguerite, l’épouse d’Edward …
Tout finit par rentrer dans l’ordre : le témoignage d’une jolie femme enfin entendu, l’art d’un serrurier génial révélé, la ligne de chemin de fer inaugurée, les criminels sanctionnés – des innocents aussi, hélas !
Un seul conseil au lecteur : faire une fiche pour chaque nouveau personnage, car on finit par s’y perdre.
Le chemin du diable, roman de Jean-Pierre Ohl, Chez Gallimard, 368 p., 21€