Histoire de l'Afrique du Nord, par Bernard Lugan
Après avoir lu plusieurs romans ou témoignages sur l’Algérie – ceux de Michèle Perret, Benjamin Stora ou Moktar Sakhiri en particulier, j’ai eu envie d’en savoir un peu plus sur cette région du monde à la fois si proche et si lointaine …
La parution d’une critique dans la revue des anciens élèves de l’ENA m’a fait commander ce volumineux ouvrage, d’autant plus que j’avais lu avec intérêt, du même auteur, une histoire du Maroc et une histoire de la guerre des Boers, édités chez Perrin.
Le propos est intéressant, qui vise à étudier la région de façon transversale – Maroc, Algérie, Tunisie, Libye et Egypte), depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Je m‘y suis plongée avec méthode, comme dans tout ouvrage universitaire bourré de notes de bas de pages et de références savantes, mais écrit dans une langue accessible au non-initié.
J’y ai appris une foule de choses, en particulier l’importance de la composante berbère dans cette région et jusqu’en Egypte, les interconnexions transsahariennes, l’extraordinaire richesse de la civilisation marocaine – avec un hommage appuyé à l’action toute en finesse du maréchal Lyautey et son désaveu radical par le maréchal Pétain lors de la guerre du Rif – l’extraordinaire complexité du système tribal, en particulier en Libye, la clarté du cahier de cartes en couleurs …
Et puis, arrivée à la page 480, je me rends compte que je me suis fait piéger.
Parlant de la guerre d’Algérie menée en France – assassinats en série perpétrés par les militants du FLN à l’encontre des partisans du MNA de Messali Hadj, je tombe sur un encadré « La fabrication d’un massacre » relatif à la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 par la police française (Charonne). Je me souviens naturellement de ces événements tragiques survenus à la suite d’un défilé massif de travailleurs algériens et de leurs familles contre le couvre-feu qui leur était imposé, entravant leur liberté d’aller et venues et surtout de réunions et de collecte de fonds. Je lis avec stupéfaction que la vérité est tout autre que celle de la doxa commune : en réalité, la police parisienne n’aurait été responsable que de quelques « bavures » et la très grande majorité des tués aurait été le fait de règlements de comptes entre Algériens.
Qui croire face à un tel écart de perception ??? « On » nous aurait donc, pendant tout ce temps, menti ?*
C‘est alors que je me réfère à la biographie de l’auteur et découvre ses options politiques. Bernard Lugan, né en 1946 à Meknès, est un africaniste pour le moins controversé. Se déclarant « monarchiste », il est spécialiste de l’histoire du Maroc, de l’Afrique du Sud et du Rwanda où il fut coopérant. Son inclination politique le classe à droite, il estime que la colonisation n’occupe qu’une période limitée de l’histoire de l’Afrique et ne lui fut pas uniquement néfaste … Bon, toutes les opinions sont admissibles mais j’aurais préféré lire cette notice biographique avant d’acheter le pavé. Comment ne pas imaginer que l’ensemble de la thèse de ce livre n’est pas entaché de parti-pris ? Je vais terminer ma lecture avec un gout amer, sans avoir la clé sérieuse que je recherchais pour mieux comprendre les ressorts des printemps arabes dont les soubresauts nous déchirent encore pour de nombreuses années.
*Revenant sur ce billet en cet automne 2021, j'ai naturellement appris la vérité lors des moments de recueillement consacrés par les autorités politiques au sujet de cette répression inadmissible d'une manifestation pacifique des Algériens. Comme quoi, mon doute à la lecture de cet ouvrage était pleinement justifié.
P.S au 2 mars 2022 : je lis avec consternation que cet historien vient de rejoindre Eric Zemmour en tant que conseiller historique ... Entre falsificateurs de l'histoire ...
Histoire de l’Afrique du Nord des origines à nos jours, par Bernard Lugan, aux éditions du Rocher, 736 p., 29€