Ordonnances : ce qui change et ce qui ne change pas dans le Code du Travail
Avant d’aller manifester contre les ordonnances, en avez-vous étudié ou au moins lu le contenu ?
Pour ma part, je me suis astreinte à en imprimer les 160 pages et à les parcourir un surligneur à la main, pour noter ce qu’elles recèlent de fracassant ou de révolutionnaire. Ma conclusion : une évolution mais pas de révolution.
Il faut déjà noter ce qui ne change pas : on ne touche pas à la durée légale du travail (35 heures) et donc au seuil de déclenchement des heures supplémentaires, ni aux seuils (11, 50 ou 300) de nombre de salariés pour les élections professionnelles, ni aux modalités de départ à la retraite.
Ce que j’ai remarqué, c’est la sémantique … L’ordonnance la plus longue (87 pages) porte sur la « Nouvelle organisation du dialogue social et économique favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales. » C’est la partie qui fusionne les institutions représentatives du personnel (délégués du personnel, comité d’entreprise, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) en une seule instance : le Comité économique et social qui sera élu tous les 4 ans et devra se réunir au minimum tous les deux mois. J’en profite pour évoquer mon expérience déjà ancienne de DRH (19 ans, tout de même !) d’une entreprise de services de 250 salariés. Je ne comptais pas le nombre d’heures (si, quand même, pour les mentionner au Bilan social) passées chaque mois avec les délégués du personnel, le comité d’entreprise, le CHSCT … Bien des fois, nous n’avions pas grand sujet à débattre. On consultait les PV des réunions de l’année antérieure pour se donner des idées …
Autre remarque : l’entreprise où je travaillais ne relevait d’aucune branche particulière – une sacrée chance ! Nous étions donc libres, les représentants syndicaux et la Direction, d’adapter en continu notre accord d’entreprise selon les nécessités du moment : ajuster la grille des minima salariaux, modifier les définitions des postes, mettre au point une procédure conventionnelle d’évaluation du personnel, négocier des congés exceptionnels, les modalités de passage aux 35 heures. Je me souviens à ce propos de la grande qualité des échanges avec les représentants syndicaux, toujours disponibles, constructifs, proposants et compétents … Pratiquement chaque année, nous apportions, après négociation, des améliorations. En revanche, je confesse un échec : la difficulté de trouver un moyen de compenser le différentiel salarial entre hommes et femmes.
Cette fusion des IRP va donc avoir deux conséquences : un gain de temps sur les heures de réunions, et un resserrement du nombre de salariés protégés. Dans mon entreprise, nous en comptions plus de 20, soit près de 10% de l’effectif. Et certains – très minoritaires - avaient choisi cet état pour d’autres raisons que la défense des intérêts de leurs collègues.
Une autre ordonnance (24 pages) porte sur le renforcement de la négociation collective. C’est celle qui prévoit que les dispositions de l’accord d’entreprise prévalent sur celles ayant le même objet sur l’accord de branche. Sauf dans 11 domaines : les salaires minium, les classifications, les fonds de mutualisation professionnelle et paritaire, la définition des temps partiels, les heures d’équivalence, les modalités de recours aux CDD (durée maximale, nombre de renouvellements possibles, délai de carence entre deux contrats), les CDI d’opérations ou contrats de mission (autre nouveauté très encadrée), la durée des périodes d’essai.
La nouveauté est ici la possibilité, pour les PME dépourvues de délégué syndical, de conclure des accords collectifs, avant ratification par la majorité des salariés, donc de négocier avec un employé non mandaté par un syndicat. Mais on n’exige toujours pas que le délégué syndical, lorsqu'il existe, soit élu … Et on permet l’organisation, par l’employeur, d’un référendum parmi les salariés. C'est sans oute là que ça a coincer avec les syndicats ...
Une autre ordonnance qui a fait couler beaucoup d’encre : celle qui concerne « la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail » (33 pages). C’est celle qui fixe un barème (minimum et maximum) de réparation d’un licenciement sans cause réelle ou sérieuse (sauf en cas de discrimination ou de harcèlement). Désormais, le maximum sera donc de 20 mois de salaire brut.
D’autre part, l’indemnité légale de licenciement, que j’ai toujours trouvée ridiculement basse, est légèrement revalorisée : elle sera désormais d’au minimum ¼ de mois de salaire par année d’ancienneté (contre 1/5ème ..). On précise également que le non-respect formel de la lettre de licenciement ne prive pas celui-ci de toute cause réelle et sérieuse. La bonne foi de l’employeur est donc a priori présumée, ce qui ne dispense pas le juge d'examiner la réalité de la cause de licenciement, même si la forme de la notification n'est pas formellement correcte.
En ce qui concerne le maximum du barême, je me rappelle tout de même que, dans la pratique, les transactions portant sur des licenciements conflictuels dépassaient rarement 24 mois dans la mesure où au-delà de ce montant, les sommes allouées étaient soumises aux charges sociales et imposables …
La novation est plutôt à rechercher dans la possibilité de conclure des accords collectifs de départ volontaire, étroitement encadrés par l’Administration, certes, mais bien plus souples que la mise en place d’un PSE (plan de sauvegarde de l’Emploi, nouvelle dénomination du plan social). Une procédure plus simple, fondée sur un accord collectif majoritaire et la volonté individuelle des salariés et prévoyant des mesures de reclassement.
Autre amélioration des ordonnances : la reconnaissance (enfin !) et la facilitation de mise en place du télétravail.
Bref, cinq ordonnances dont quatre doivent entrer en vigueur avant la fin septembre et une à la fin de l’année (celle, très technique, qui porte sur le compte pénibilité), un travail de bénédictin pour balayer tous les articles du Code qui doivent être modifiés. Des évolutions bien tardives, qui ne vont pas révolutionner les relations de travail mais donneront un peu plus de sécurité aux petits patrons et inciteront peut-être les salariés à se grouper pour négocier leurs conditions de travail : une façon d’accroître l’efficacité dans les entreprises.
Pas de quoi, selon moi, sortir les piques ! Mais on verra bien dans les prochains jours …