12 décembre 2017
La conquête des îles de la Terre Ferme, roman d'Alexis Jenni
Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011 pour « L’art français de la guerre », son premier roman !) poursuit sa quête de vérité sur l’épopée tragique des guerres coloniales. Il nous transporte cette fois dans les cales d’un navire voguant à travers l’Atlantique vers Hispaniola et plus loin vers ce qui deviendra le Mexique.
Voici donc comment 500 guerriers d’infortune prirent part à l’expédition partie de Cuba en février 1519 sous le commandement d’Hernan Cortès et conquirent au prix d’immenses souffrances des vainqueurs comme surtout des vaincus l’empire aztèque …
Cette histoire, qui emprunte largement à la vérité mais nous fait vivre l’expédition de l’intérieur, est contée par le secrétaire du rusé et diplomate conquistador : Juan, rebaptisé Innocent par Cortès. Un jeune hidalgo devenu prêtre, chassé d’Espagne vers Cuba après avoir séduit une femme.
Innocent se souvient. « J’ai vu tout ça. Nous l’avons fait, et on l’oubliera si je ne le raconte pas, personne ne le croira quand il le lira, mais nous l’avons fait. » Il déplore déjà les ravages de la conquête parmi le peuple asservi. L’effondrement démographique dû aux combats inégaux – la supériorité technologique des conquistadors avec leurs armes à feu, la présence des chevaux, les épées d’acier face aux tranchants d’obsidienne, mais aussi l’irruption de maladies inconnues – désole les bâtisseurs d’empire fatigués.
Du sang, des flammes, des chairs consumées, des moustiques, des paysages fangeux, des chevaux pataugeant dans la boue, des victimes immolées roulant au bas des pyramides des temples, les costumes chatoyants de plumes des Amérindiens, leurs sandales d’or, leur accueil chargé de nourriture, leurs ruses éventées …
L’écriture est d’une beauté saisissante. Les descriptions de combats comme de l’ambiance des soudards au repos, les personnages féminins : la belle et calme Elvira et Marina, la Malinche, qui sert d’interprète à Cortez et devient son amante, qu’il porte sur la croupe de son cheval dans sa magnifique tunique brodée.
C’est surtout une réflexion lucide sur le pouvoir, la cupidité, la soif de l’or, l’humiliation, la disparition d’une civilisation au nom d’une religion proscrivant naturellement les sacrifices humains et le cannibalisme. C’est un livre âpre, violent, résonnant de bruit et de fureur, d’incompréhension réciproque de deux mondes, de désolation et de désenchantement des vainqueurs. Un livre qui impressionne, à tous les sens du terme.
La conquête des îles de la Terre Ferme, roman d’Alexis Jenni, publié chez Gallimard, 412 p., 22€.