Le fabuleux destin du livre de poche ...
Si on vous pose la question – saugrenue, je l’avoue – de savoir quelle est la première maison d’édition française, aurez-vous le réflexe de répondre que c’est Le Livre de Poche ? A l’heure du tout numérique, les lecteurs compulsifs comme moi restent en effet accros à ce format pratique et pas cher qui a révolutionné l’édition française au milieu du XXème siècle.
Le livre de poche représente actuellement 14% en valeur et 24% en volume de l’édition française (pour mémoire, le livre numérique : 6,5%). Et c’est sa grande diversité qui fait son succès. On note toutefois que la part de la littérature classique (60%) y régresse un peu au profit des livres pratiques et des sciences humaines et sociales. Voilà pour les chiffres … mais le livre de poche, c’est toute une histoire !
J’ai découvert avec surprise que les premiers livres de petit format (au début du XIXème siècle) narraient des sujets érotiques susceptibles d’être planqués derrière une brique. Mais l’ancêtre du livre de poche est à rechercher chez Gervais Charpentier qui lança en 1838 sa collection au format 11,5 x 18,3 et au prix de 3,50 F. dans laquelle il publia Balzac, Hugo, Musset …
Suivi par Louis Hachette en 1853 avec sa bibliothèque des Chemins de Fer (l’ancêtre des « romans de gare » ?), Michel Lévy lançant en 1856 les livres à 1 F.
Notre génération n’a pas oublié les jolis livres à couverture cartonnée habillée de blanc de la collection Nelson édités en France dès 1910, ni l’encyclopédique collection des « Que sais-je ? » des PUF à partir de 1941. Pour les polars, c’est la collection « Le Masque » qui ouvre le bal dès 1927 avec « Le meurtre de Roger Ackroyd » d’A. Christie, à l’initiative d’Albert Pigasse.
Mais le démarrage le plus efficace date bien de 1953, à l’initiative d’Henri Filipacchi (le père de Daniel, créateur de « Salut les Copains », « Pour ceux qui aiment le jazz », patron de Presse avec, entre autres Paris-Match …), alors secrétaire général de la librairie Hachette. Associé avec Albin Michel, Calmann-Lévy, Grasset et Gallimard, il va révolutionner le monde bien-pensant de la littérature.
En mettant les techniques modernes de fabrication des livres populaires et du marketing au service de la « grande » littérature (couverture souple illustrée de façon accrocheuse, papier de qualité sommaire, reliure collée, prix modique, présentation des livres en tourniquet donc en libre-service), il va séduire la génération des baby-boomers qui découvrent en masse non seulement les classiques (500 000 lecteurs achètent « Un amour de Swann ») mais aussi des auteurs contemporains.
Le premier ouvrage, « Koenigsmark » de Pierre Benoit, paraît le 9 février 1953 au prix de 2 F. A peine plus cher qu’un quotidien, un peu moins qu’un magazine …. Il a été réédité en 2012 lors de l’anniversaire de la mort de l’auteur et je l’ai découvert à cette occasion … ensuite les parutions furent « Les clés du royaume » de A.J. Cronin, « Vol de Nuit » d’A. de Saint-Exupéry, « Ambre » de Kathleen Winsor, « Tessa, la nymphe au cœur fidèle » d Margareth Kennedy, « La symphonie pastorale » d’A. Gide, « La bête humaine » de Zola, « L’invitation à la valse » de Rosamond Lehman, « Capitaine Conan » de Roger Vercel mais aussi « Les mains sales » de J-P Sartre. Quel éclectisme ! Depuis les grandes oeuvres populaires jusqu’à la modernité scandaleuse en passant par les récits de guerre et les romans à l’eau de rose … une des clés du succès.
Après cette nouveauté dans le domaine de l’édition populaire – qui pourtant suscita des réactions négatives de certains intellectuels qui redoutaient la fin de l’aristocratie des lecteurs, la braderie de la littérature, le fait de vendre le livre comme un objet de consommation courante et non plus réservé à la bourgeoisie – on assista à une floraison de collections au format réduit : J’ai lu en 1958, 10/18 et Presse Pocket en 1962, Points en 1970, Folio en 1972 … En 2015, on comptabilisait depuis l’origine plus de 100 millions d’exemplaires de livres de poche vendus.
Aujourd’hui, dès qu’il me vient l’idée d’acheter un livre, je regarde d’abord s’il n’est pas disponible en poche. Naturellement, ce n’est pas le cas des nouveautés … tant pis, mais je n’ai pas le temps d’attendre. Et vous, que préférez vous ?