05 novembre 2018
Et si on apprenait à écrire en sténo ?
Un matin de reprise de travail, je pense qu'il est important de se souvenir que certains métiers disparaissent avec la technologie tandis que d'autres émergent ....
Le seul parchemin dont ma maman était fière, après le certificat d’études pour lequel elle fut reçue première du canton, était son diplôme de steno-dactylographe et teneur de livres, obtenu à l’école Pigier autour de 1931. Bien entendu, elle avait travaillé pour se payer les cours …
Et toute sa vie, je la voyais prendre des notes, par exemple pour saisir à la volée des recettes de cuisine décrites à la télévision par Raymond Oliver …
Plus tard, elle m’a transmis la technique de l’écriture à la machine, mais à ma grande honte, je n’ai pas eu le courage de persévérer dans l’art de la sténographie, et je l'ai bien regretté dans mes études supérieures...
Car c’est sacrément utile d’écrire à la vitesse de la parole, ce que la pratique de l’ordinateur le plus ergonomique ne permet pas.
Et en grattant un peu, je découvre l’histoire de la sténographie, très ancienne : déjà sur les tablettes antiques – en Egypte, l’écriture démotique permet d’abréger les hiéroglyphes - puis dans les manuscrits médiévaux, des notations abrégées comme l’esperluette (&) ou l’arobase (@) constituent des codes pour écrire plus vite …
Un des précurseurs est l'anglais Samuel Taylor (1772 – 1834) qui a repris le premier traité d’écriture abrégée de John Willis datant de 1602.
Sa méthode, éditée en 1792, est traduite et adaptée au français par Théodore-Pierre Bertin (1751 – 1819). Hippolyte Prévost (1808 – 1873) diffuse sa propre méthode en 1826. Il est le professeur d’Albert Delaunay (1828 – 1892, voir son portrait ci-dessus) qui perfectionne sa technique en 1876. Il est en effet tachigraphe-réviseur au Sénat. On cite également les travaux de l’abbé Emile Duployé (1833 – 1912) en 1860.
Car la sténographie s’impose dans la prise des cours universitaires, les comptes-rendus de procès, les débats des assemblées parlementaires, parmi les journalistes et elle devient indispensable dans les correspondances d’affaires.
A la fin du XIXème siècle, les sténographes sont reconnus comme un métier à part entière, au départ exclusivement réservé aux hommes. Ils vont vite se rendre compte de l’utilité d’un outil ingénieux : la machine à écrire, parfaitement complémentaire.
C'est en 1876 qu'est mis au point par l'imprimeur Christopher Latham Sholes un prototype artisanal considéré comme l'ancêtre de la machine à écrire moderne, ultérieurement produit en série et commercialisé par la firme Remington.
Pendant la première guerre mondiale, les femmes investissent le métier de sténo-dactylo qui cesse peu à peu d’être masculin. Un métier qui a aujourd’hui disparu avec la pratique généralisée et non genrée de l’écriture sur clavier. Et finalement, c’est peut-être le langage SMS qui remplacera la prise de notes abrégées …
J’exagère … car c’est la sténotypie qui aujourd’hui perpétue la transcription, à la vitesse de la parole, des discours officiels dans les meetings politiques, les assemblées territoriales et nationales, les congrès, les prétoires.
La machine de sténotypie est désormais dotée des derniers progrès techniques. Elle peut en effet se connecter à un micro-ordinateur qui décode immédiatement la « prise » de notes et traduit le contenu par des mots intelligibles sur un traitement de texte. La phase de transcription par la sténotypiste a été ainsi supprimée. On n’arrête pas le progrès.
Un grand merci pour leur contribution à cette synthèse rapide – mais non abrégée – à Pauline de Waele et Bernadette Wolff-Picard pour les images.
Commentaires
Lors de mon poste de cadre de santé nous avions une secrétaire médicale qui pratiquait complètement la sténo, elle assistait à toutes les visites médicales au lit du malade et relevait ainsi les examens cliniques au fur & à mesure.Une perle que tous les médecins réclamaient!!!
J ai eu la chance d apprendre quelques signes car une amie d enfance l'apprenait & habitait chez nous; je m en suis beaucoup servi lorsque j ai repris des études à plus de 30 ans cela m a beaucoup aidée en prise de notes.J'ai suivi un cours d'un an de sténo-dactylo (méthode Prévost-Delaunay) en 1964. J'ai appris les bases de sténo, dactylo et commerce pour pouvoir rejoindre mes parents en Afrique. Cela ne m'a pas été utile dans mon emploi mais j'ai adoré apprendre ces signes d'un autre genre d'écriture. D'ailleurs, j'aime et j'étudie maintenant depuis quelques années le grec, le sanskrit et peut-être plus tard d'autres langue.... la magie et la richesse de la transmission écrite!
Quel excellent article Marie-Pierre !!! Je vais mettre le lien sur mon blog. "La sténographie et la dactylographie sont indispensables au bureau moderne". La méthode a ensuite évolué. Sténographie, dactylographie, indispensable et moderne ont leurs abréviations. Je t'enverrais les photos car mon scan est en panne.
Je vous souhaite une belle journée à vous deux.
Amitiés.
Bernadette.
P.S. : De ma génération (fin 1960 début 1970) on pouvait suivre les cours du Lycée après la troisième en deux ans et passer un BEP de Sténodactylo ou après le certificat d'études primaires (qui existait encore à cette époque - plus pour longtemps) et passer en trois ans un CAP d'employée de bureau [Compta-Sténodactylo). On l'apprenait aussi lors des cours de secrétariat BAC G1 qui a été ensuite remplacé par les BAC STT d'aujourd'hui.
Pendant 13 ans, je prenais tout en sténo, lettres, rapports de réunion etc... ensuite pendant 27 ans, je m'en suis encore servi mais pour mes prises de notes téléphoniques, un peu du courrier mais très peu par rapport à mon premier emploi. Lors de réunions également, la sténo met toujours utile aujourd'hui. Ah, les prises de recettes aussi (une pensée pour ta maman) Les chansons aussi !!! J'allais oublier !!!merci Marie-Pierre pour ce billet émouvant et documenté !
ce matin je lis à propos d'Apollinaire (dans quelques jours centenaire de sa mort, 9/11/1qu'il avait lui aussi obtenu le diplôme de sténographe — mais bien avant nos mamans
source : http://blog.bnf.fr/lecteurs/index.php/2018/11/connaissez-vous-apollinaire/recherches pour sténo-dactylo dans le système judiciaire dans les années 1930
Madame,
Merci mille fois pour votre récit! Connaissez vous une ou deux sources d'information sur le metier et la formation de sténo-dactylo dans le system judiciaire francaise pendant les années 1930s? J'habit la Californie et je suis entrain d'écrire un roman dans lequel le protagonist est une jeune femme de 17 ans en 1937 qui vie dans les environs de Paris. J'ai fais des recherches sans success. Excusez mes fautes d'orthographe. Je vous remercie, Margaret-AnnJ'ai aussi appris la Sténo
Bonjour,
J'ai passé également le diplôme de sténo-dactylo après le Bepc et ai utilisé ces 2 outils pendant plusieurs années dans mon milieu professionnel (Secrétariat dans une grande boîte en France). On m'avait même proposé à l'époque de suivre une formation de sténotypiste pour remplacer une de nos chères collègues qui allait partir à la retraite. Mais je n'ai pas continué, trouvant ce métier trop dur nerveusement. La personne, qui était freelance, était appelée à l'Assemblée Nationale parfois, et je ne m'y voyais pas!
J'ai ensuite bifurqué vers l'informatique à ses débuts et ai complètement laissé tomber cet outils très précieux qu'est la sténographie et c'est par hasard (pas totalement en fait car je voulais prendre quelques notes incompréhensibles pour les autres et recherchais quelques signes oubliés avec le temps) et je suis arrivée sur votre site...
Bien à vous
Keri
Ahhhh que de souvenirs... j'ai aussi passé par la fameuse Ecole Pigier (à Casablanca) !