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26 juin 2019

Les pierres sauvages, roman de Fernand Pouillon

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Le Lot-et-Garonne peut s’enorgueillir d’avoir donné naissance à deux des grands architectes du XXème siècle. Tout le monde connaît Jean Nouvel, lauréat du prix Pritzker en 2008, né en 1945 à Fumel, mais on oublie souvent Fernand Pouillon, né en 1912 à Cancon, ancien assistant d'Auguste Perret, architecte iconoclaste et visionnaire.

Et c’est bien injuste. En fait, ceux de notre génération se souviennent confusément de l’affaire du « Point du Jour » où ses associés avaient émis de fausses factures et commis des malversations financières au profit d’un parti politique (l’UNR, ancêtre du RPR, déjà !). Arrêté et écroué en 1961 avec quatre de ses collaborateurs, hospitalisé car très malade, Fernand Pouillon s’échappe de la clinique et vit en cavale pendant plusieurs mois. Revenu pour son procès, il est condamné à 4 ans de prison mais rapidement libéré pour raisons de santé. Contraint à l’exil, il refait carrière en Algérie où il produit de belles réalisations. Amnistié en 1971 par Georges Pompidou, il revient en France en 1984, est promu officier de la Légion d’honneur par François Mitterrand en 1985 et meurt en 1986. Quel destin !

Fernand Pouillon a écrit ce roman en prison. Pour tous ceux qui s’intéressent à l’architecture, et comme moi à l’art roman, c’est un livre incontournable. Il est arrivé Ici dans les valises de ma fille architecte. Et je l’ai lu à la suite d’un documentaire récent sur la reconstruction des villes rasées pendant la seconde guerre mondiale, à laquelle Fernand Pouillon a largement contribué : en particulier la reconstruction du quartier du Vieux-Port de Marseille rasé par les Allemands, mais aussi de nombreux logement sociaux …

Guillaume, frère cadet de Hugues II de Balz, écrit la chronique de la construction d’une abbaye cistercienne dont il est le maître d’oeuvre, au creux du vallon du Thoronet, à une journée de marche de Notre Dame de Florielle. Avec ses deux jeunes frères, Bernard et Benoît, moines cisterciens comme lui, ils arrivent sur site le 5 mars 1161. Guillaume va créer, à partir de rien, la plus belle, la plus pure et la plus emblématique des abbayes provençales. Il a déjà édifié nombre de monastères. Il a tout dans la tête mais il faut commencer par essarter, aplanir, et surtout trouver les pierres, les extraire à main d’homme, les transporter, trouver l’argile pour confectionner des tuiles, abattre les arbres pour former les échafaudages, forger les outils.

C’est toute une ville qui, entre prières et privations, s’affaire autour du projet. C’est aussi une troupe d’hommes qu’il faut savoir manager : les spécialistes, les moines, les frères convers. Guillaume est autoritaire. Il impose ses conceptions. Pour l’abbatiale, par exemple, il décide de poser les pierres sans mortier. C’est plus ardu mais beaucoup plus beau. Et puis il y a les accidents, les aléas climatiques, les querelles … Il est difficile à ceux qui ne « transpirent » que des méninges d’être aimés ou respectés des hommes aux mains calleuses …

Pour Guillaume, un chantier est plus long qu’une guerre, moins exaltant, où les batailles sont les dangereuses corvées de tous les jours. Mais la victoire est certaine. Même si, comme Guillaume, beaucoup de ceux qui ont initié le chantier ne verront pas son complet aboutissement.

Un roman très personnel, bien écrit, accessible, qui constitue une réflexion philosophique sur le délire de la création et ses doutes, l’hypnose provoquée par la dominance de l’œuvre en cours, le respect du module impératif qui règle tout l’édifice, impose la dimension de base, sur la souffrance physique aussi … Une leçon d’humilité et de grandeur.

 

Les pierres sauvages (1964), roman de Fernand Pouillon, Le Seuil, 232 p., 23,30€ et 7,40 en Livre de Poche.

Posté par Bigmammy à 08:00 - Lu et vu pour vous - Commentaires [2] - Permalien [#]
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Commentaires

  • Mon père , dans le cadre de son travail, avait collaboré avec lui, il l appréciait beaucoup pour ses compétences et aussi sa rigueur

    Posté par Martine, 26 juin 2019 à 17:19
  • J’inscris ce livre dans ma liste des achats prévus.
    Il devrait mieux me faire entrevoir l’âme de Gaudi qu’aucun autre ouvrage sur son œuvre.

    Posté par MAG, 03 juillet 2019 à 20:41

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