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19 mars 2020

Le faux ami du capitaine Dreyfus, essai par Philippe Oriol

 

faux ami

Philippe Oriol, un des historiens parmi les plus fins spécialistes de l’Affaire Dreyfus, a dû « péter un câble » face au processus d’héroïsation du Colonel Picquart remis en lumière par Robert Harris dans son roman « An Officer and a Spy » puis magistralement interprété par Jean Dujardin dans le film de Roman Polanski.

Dans cet essai, il démonte méthodiquement l’image d’Epinal créée autour de celui qui mit au jour la plus grande affaire de mensonge d'Etat qui ait déchiré la République. Une entreprise très argumentée de déboulonnage, ou tout du moins de reclassement des responsabilités et ressorts psychologiques de chacun.

Un mot sur la forme : il est nécessaire de bien connaître tous les ressorts de l’Affaire, ses protagonistes et sa chronologie pour comprendre le propos de l’auteur et suivre son argumentation. Le plan de l’ouvrage et le style ne sont pas des plus clairs et la lecture des extraits de textes pas toujours aisée. Mais pour celui qui étudie l’histoire, la vérité est la seule qui compte. Et les deux personnalités d’Alfred Dreyfus d’une part et Marie-George Picquart d’autre part, sont particulièrement complexes.

Rappelons que c’est Picquart, arrivant à la tête de la Section de Statistique (le Renseignement militaire) se rend compte que les preuves présentées à l’appui de la condamnation de Dreyfus sont des faux et que le vrai coupable est un certain Estherazy. Il en réfère à son chef, le général Gonse qui lui intime l’ordre de se taire et le menace des pires sanctions s’il parle. Il finira par parler pour faire éclater la vérité, et sera lui aussi humilié, menacé, emprisonné et chassé de l’Armée.*

« Le Colonel Picquart avait le choix, entre la plus belle carrière qui fut jamais ouverte à un officier, et le cachot. On ne lui demandait que de se taire. Il a préféré parler, et de ce fait, il a choisi le cachot » écrit Octave Mirbeau.

 

harris

Picquart est confronté à un dilemme : manquer à la parole donnée à ses supérieurs et ainsi porter préjudice à l’Armée, sa seule raison de vivre, ou blanchir un innocent emprisonné à l’île du Diable. Il va devenir, pour les partisans de Dreyfus, le héros idéal : bel homme, énergiquement antisémite (selon Bernard Lazare), polyglotte, ni juif ni protestant, plus jeune colonel de l’armée française …

Mais il réalise qu’il ne va pas être possible d’agir pour Dreyfus tout en protégeant sa carrière. Il subit des pressions, il tergiverse, refuse de donner les preuves en sa possession. C’est Scheurer-Kestner qui va saisir le Président de la République, malgré sa volonté. La stratégie de Picquart est plus destinée à son propre sauvetage qu’à celle de Dreyfus. Ainsi, il va faire exploser le clan dreyfusard entre les « intransigeants » et les « politiques » qui veulent agir en douceur, car il déteste la famille Dreyfus, Joseph Reinach et Bernard Lazare, tous ceux qui n’agissent pas comme il le voulait …

Car Dreyfus lui-même menait sa propre stratégie de défense : obtenir de la Cour un arrêt de cassation du second Conseil de Guerre, sans renvoi devant un nouveau Conseil. Ce qu’il obtînt.

Un livre touffu, qui déconstruit efficacement le mythe du héros Picquart et remet certaines pendules historiques à l’heure. En se souvenant que Dreyfus ne voulait retenir des hommes – et donc de Picquart – que ce qu’il y a de bon. Dreyfus, le principal héros de son affaire et aussi sa principale victime.

*Picquart sera réintégré dans l'Armée le même jour que Dreyfus et sera nommé ministre de la Guerre par Clemenceau. Dreyfus, lui, survivra à tous les protagonistes de son affaire ...

 

Le faux ami du capitaine Dreyfus, Picquart, l’Affaire et ses mythes, essai par Philippe Oriol, édité chez Grasset, 246 p., 19

Posté par Bigmammy à 08:00 - Lu et vu pour vous - Commentaires [1] - Permalien [#]
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Commentaires

  • Là on voit toute la lachetée des hommes et les dégâts de l’Antisémitisme et on sait le désastre et les horreurs qui en ont découlées . L'histoire malheureusement en est farcie. Loin des enseignements à en tirer, l'ogre n'est toujours pas mort, tapis dans l'ombre il est toujours prés à surgir toujours plus violemment tel un Volcan que l'on croit éteint mais que qq fumées apparaissent de temps en temps, preuve qu'il n'est toujours pas mort. J'ai lu qq chose comme cela il y à longtemps, je ne me souvient plus de l'auteur. MR

    Posté par Rayface06, 19 mars 2020 à 23:53

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