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Journal de bord d'une grand-mère grande lectrice et avide de continuer à apprendre, de ses trois filles et de ses 7 petits-enfants.
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3 avril 2020

Le destin brisé de mon grand-père

 

Joseph Mens

 

En ce moment, je ne lis que des histoires de guerres - est-ce un hasard ? -  et je me dis que nous avons bien de la chance d'avoir, sur la ligne de front, des hommes et des femmes qui tiennent le choc. Et des institutions qui résistent ... Honneur à eux !

Comment survivait-on à l'arrière en temps de guerre au début du XXème siècle ?

De mes grands-parents, je n’ai connu que ma grand-mère paternelle, qui n’avait que dix-sept ans de plus que mon père et dont on croyait qu’elle était sa grande sœur, disparue en 1975, alors que j’avais 30 ans. Dans la famille, elle n’avait cependant pas bonne presse.

Je pense à mon grand-père Joseph, né en 1866, et aux difficultés actuelles éprouvées pas nos petites entreprises, aujourd’hui plongées dans la tourmente du coronavirus. Des bribes de souvenirs m’assaillent. Et comme je lis en ce moment un terrible roman d’Emile Zola dépeignant les  trajectoires dramatiques des hommes et des femmes de son temps, je tente de reconstituer son parcours brisé par la guerre de 14 …

Pas de système de soutien aux entreprises, aucune solution de repli, aucune pitié pour les ouvriers envoyés au front ni a fortiori pour leurs employeurs …

 Joseph Mens était le patron d’une entreprise prospère de peinture en bâtiment à Gap au moment où éclate la Grande guerre. Né en 1866, libre penseur, il est trop vieux pour être mobilisé. Dans la petite ville de Gap, il jouit d’une bonne réputation, encore qu’il professe des idées de gauche, n’hésitant pas à défiler aux côtés de ses ouvriers, drapeau rouge en tête.

 Mimi

Déjà veuf une fois, sa jeune épouse est morte de la tuberculose. Sa deuxième femme, atteinte de troubles psychiques, est placée en établissement de soins. Impossible de divorcer. On place chez lui une ravissante jeune fille juste sortie du couvent. Henriette, dite Mimi, svelte, les yeux bleu-vert, à l’abondante crinière bouclée aux reflets auburn, habile brodeuse et surtout ambitieuse.

Dans cette maison bourgeoise, elle comprend tout de suite qu’elle pourrait accéder à un statut social plus élevé … Elle a 16 ans, lui 44. Il arrive ce qui devait arriver : mon père, Jean, né en 1910, bientôt suivi de trois autres enfants.

Joseph est comblé de cette paternité tardive. Cependant, il faut attendre encore 7 ans avant que le mariage leur soit possible. Mon père, tout jeune, se souvenait d’y avoir assisté.

 Arrive la guerre : plus de marchés publics, des ouvriers mobilisés en masse. Les ravalements et mises en peinture ne sont plus une priorité. La famille de Joseph accourt se réfugier chez lui, il se ruine pour les soutenir. Son entreprise ne vaut plus grand-chose mais il parvient à la brader à un acheteur qui le paye avec des billets de fonds. Dont il n’honorera aucun.

 Joseph et Henriette avec quatre enfants à charge : Jean-Baptiste, Georgette, Paul et Yvon, s’installent à Cannes. Le père travaille à la gare de marchandises de La Bocca, la banlieue industrielle de Cannes avec un dépôt de locomotives. Mon père est mis au travail le plus rapidement possible. A 14 ans, il apprend le métier de peintre en bâtiment. Il commence par passer au goudron la sous-face des wagons …

 Le mariage de ses parents bat de l’aile. C’était déjà le cas au début. Henriette quitte parfois le domicile conjugal, toujours accompagnée de ses enfants. Elle se réfugie chez ses parents. Il vient la chercher, la supplie, redescend à Cannes avec sa famille.

 

IMG_0856

Cependant, on peut imaginer la frustration de cette très jeune femme, coincée avec un époux fatigué, déclassé, avec quatre jeunes enfants … Des disputes homériques surviennent. Un jour, m’a raconté mon père, elle lui tend un fusil et lui crie : Vas-y, tue-toi, tu ne sers à rien …

En avril 1931, mon père effectue son service militaire, chez les chasseurs alpins à Sospel. Il est informé de la nouvelle : Joseph a rendu les armes, il s’est pendu.

 Déjà fiancé à ma mère, ce drame secoue toute la famille. Les parents de Lucie sont de plus en plus réticents : elle est trop jeune et ils ne veulent pas d’un gendre fils de suicidé. On ne plaisante pas avec ces choses-là dans les familles piémontaises …

Henriette, elle, est opposée à une union de son fils avec une famille de « babis », c’est-à-dire d’immigrés …

Mais cela ne compte pas. Jean et Lucie passent outre et se marient à Cannes le 9 janvier 1932. Du destin tragique de son père, Jean plaisantait parfois en évoquant la très forte différence d’âge entre ses parents et disait « Mon père est mort d’une crise de mathématiques ».                                                                                                                      

 Grandeur et surtout misère d’une époque où n’existait aucun système de sécurité pour personne, ni remèdes au malheur des temps. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ; mais je suis effrayée devant le coût collectif des mesures envisagées. Soyons forts, nous en avons vu d’autres !

 

N.B. La suite du récit de mes parents est à lire sous le titre "Affaire terminée, j'arrive" dans la colonne de gauche ...

 

 

Commentaires
A
Une jolie saga.<br /> <br /> Portez-vous bien par ces temps.
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Y
Un beau roman. J'ai adoré !<br /> <br /> Merci de nous l'avoir raconté.<br /> <br /> Soyez prudente.<br /> <br /> Prenez soin de vous.<br /> <br /> Bonne continuation.
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L
J'adore les histoires familiales. Comme dit plus haut, il faudrait en faire un roman!
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S
Merci pour ce récit. Cela donne envie d’en savoir plus sur ces vies passées : votre grand-père avait il eu des enfants avec ses premières épouses ? Qu’était devenue sa seconde épouse ? Était il veuf quand il a épousé votre grand-mère ? Et qu’était cette maladie psychique ? (On comprend maintenant mieux certaines de ces maladies, même si on ne sait pas toujours comment les soulager). Je relirai vos précédents récits familiaux que j’avais lu quand j’avais découvert votre blog il y a déjà quelques années, j’y trouverais peut-être des réponses à mes questions. Votre grand-mère vous avait elle raconté sa vie de jeune mère et ce drame ? Qu’avait elle vraiment choisi de cette vie ?<br /> <br /> Vous faites travailler notre imagination...<br /> <br /> Continuez à nous raconter ... et prenez soin de vous.
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J
Quelle vie !! j'ai adoré
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