25 mars 2021
Le cri du peuple, roman graphique de Jacques Tardi, d'après Jean Vautrin
Publié entre 2001 et 2004, la série des quatre livres dessinés par Jacques Tardi d’après le roman de Jean Vautrin (1933 – 2015) constitue un chef-d’œuvre. Je viens de les relire en continu et j’en suis encore toute retournée.
En cette année du souvenir de cette atroce guerre civile d’il y a 150 ans à peine, en pensant aux conflits plus récents comme la guerre d’Espagne, ou les conflits dans l’ex-Yougoslavie, on mesure combien la nature humaine peut devenir bestiale, la haine de classe et le ressentiment toujours plus mortifères. De ce côté-là, je crains que nos concitoyens n’aient rien appris, ni rien oublié.
« Ce n'est pas à coups de bâton, ni à force d'indifférence, qu'on chasse les indigents de toute société humaine. Au contraire, à force de se servir du balai pour les humilier davantage ou de la trique pour les expédier plus loin, nos préfets de police les ont voués à une épouvantable misère ... à une effrayante nudité. Ils ont fabriqué aux portes de la ville des ateliers de rancune. Sommes-nous donc aveugles ? Faut-il attendre que les pauvres soient si pauvres qu'il ne leur reste plus que la révolte ? Un jour, les hardes qui pendent au clou deviennent immanquablement l'étendard de la haine ! »
Le récit s'ouvre à l'aube de la Commune de Paris, alors que monte la rumeur de la révolte et de l'espoir du peuple, juste après le désastre de la guerre perdue contre la Prusse. Le cadavre d'une femme, serrant dans sa main un œil de verre portant le numéro 13, est découvert dans la Seine. Grondin a fait 20 ans de bagne et cherche celui dont il croit avoir endossé le crime, Tarpagnan. Théophile Mirecourt, le photographe, officie sur les barricades pour Le Cri du Peuple, le journal de Jules Vallès. Il se lie d'amitié avec le Capitaine Tarpagnan, qui lui-même risquera sa vie en tombant amoureux de "CafConc", la belle Gabriella Pucci aperçue le temps d'un mouvement de foule ....
L’intrigue, complexe, entremêle les personnages fictifs et les sombres héros historiques de cette tragédie. Le graphisme reconnaissable entre mille de Jacques Tardi – mais je ne suis certainement pas objective – absolument époustouflant.
Ce Cri du peuple, c’est aussi une immersion dans le petit peuple parisien porté par un parler gouailleur et argotique et une histoire qui court joliment sur les soixante-douze jours de la Commune, de la révolte initiale pour conserver les canons de la Garde nationale jusqu’à l’épilogue de la semaine sanglante et son flot de morts. Des bouges miteux aux cahutes bordant Paris jusqu’aux barricades, le récit fait revivre avec une force intense la période, réussissant brillamment à mêler les personnalités marquantes de l’époque, Louise Michel, Jules Vallès bien sûr (dont le nom du journal fournit le titre au roman), Gustave Courbet un peu inquiet d’apparaître comme l’initiateur de la destruction de la colonne Vendôme et les autres grands noms de la Commune, mais aussi toute une série de personnages fictifs et attachants.
À noter qu’à l’occasion de ce 150e anniversaire, les éditions Casterman, ressortent une nouvelle édition du Cri du peuple. Abandonnant le format à l’italienne et les quatre albums, qui accentuaient le côté strips et feuilleton populaire, cette nouvelle version se présente plus classiquement en un volume unique dans un format vertical plus classique. La singularité initiale se perd, ainsi que les effets visuels de ces double page en long panoramique, forcément, mais la force de l’histoire et du dessin en noir et blanc de Tardi demeurent bien. Et certaines cases, retravaillées, prennent plus de dimension. C’est en tout cas l’occasion pour une nouvelle génération de redécouvrir un ouvrage qui n’a pas vieilli. (Le Courrier Picard)
Je confirme ! On retrouve les décors des romans d’Hervé Le Corre, les documents plus récents sur la face cachée de la Commune. Une page de notre histoire pas des plus glorieuses, qui laisse à la classe politique contemporaine des stigmates ineffaçables.
Un récit confus comme le furent ces combats, des destins crucifiés, des traitrises et des terreurs, des flots de sang … Tout en noir et blanc, et cependant, justement et seulement : du grand art !
Le cri du peuple, roman graphique en quatre épisodes d’après le roman de Jean Vautrin, illustré par Jacques Tardi, publié chez Casterman.
Commentaires
J'ai naturellement regardé ce documentaire composé avec les gravures d'époque. C'est un beau travail, avec la voix off - entre autres - de Yolande Moreau - mais finalement, je l'ai trouvé un peu "barbant" et surtout, on ne parle pas des incendies de la semaine sanglante ... A regarder bien sur, mais cela n'a rien à voir avec la verve et le talent de Jacques Tardi.
On peut voir une belle émission documentaire d’Arte en replay
« Les damnés de la commune « réalisé à partir de gravures d’époque
Avec les voix d’acteurs