28 juin 2021
Gloire aux rares électeurs !
Gloire aussi aux élus, de quelque bord qu'ils soient !
Arrêtons de contester la légitimité d'un suffrage au regard du niveau de la participation électorale, même historiquement faible pour ces dernières élections.
Un bref rappel historique : le droit de vote n'est pas toujours allé de soi. Au tout début, le suffrage censitaire fut un mode de suffrage dans lequel les électeurs sont uniquement les personnes de la population qui payent un impôt d'un montant précis appelé cens. Les participants à la vie politique sont donc déterminés par le cens, c’est-à-dire le niveau de leur patrimoine. Pour être électeur, ou éligible, il faut avoir un cens (impôt) dépassant un seuil déterminé par la loi électorale en vigueur.
Ainsi en France, en 1791, seuls les hommes de plus de 25 ans payant un impôt direct égal à trois journées de travail peuvent voter. En 1792, la participation électorale est du 12% du corps électoral pour les élections à la Convention. De 1814 à 1830 (monarchie constitutionnelle), seuls ceux qui paient un cens supérieur à 300 F sont électeurs, et éligibles ceux qui paient un cens supérieur à 1000 F et qui ont plus de 40 ans. En 1847, les électeurs paient un cens supérieur à 100 F.
Ce mode de suffrage est à mettre en perspective avec la théorie de la souveraineté nationale. La souveraineté appartient à la Nation, le droit de vote n'est donc pas un droit pour les citoyens mais une fonction. Selon Sièyes, seuls les citoyens qui contribuent à la bonne marche de l’économie nationale influent donc sur la vie politique.
Avec une participation électorale inférieure à 33 % du corps électoral au cours du dernier scrutin, c’est un peu comme si une large majorité de Français s’étaient volontairement retirés de la capacité d’exercer leur droit de vote, pourtant aujourd’hui universel – et en particulier ouvert à tout citoyen âgé de plus de 18 ans (depuis 1974) et aux femmes (depuis 1944) et même aux militaires de carrière (depuis 1945).
Ainsi donc, c’est une frange très restreinte de la population qui se juge à la fois concernée et compétente pour exercer son droit de vote, un droit pour lequel bien des gens ont lutté afin qu’il soit le plus universel possible depuis 1789. Et c’est pourquoi leur vote est d’autan plus respectable et leur choix légitime.
L’abstention est une tendance lourde dans notre pays comme ailleurs … c’est regrettable mais ce n’est pas l’obligation de participer au vote assorti de sanctions symboliques qui y changera quoi que ce soit.
Notre démocratie traverse une crise profonde de la représentativité. Indifférence (« aquoibonisme »), ringardisation du processus électoral démocratique, sentiment que rien ne peut changer et surtout pas en fonction des voix des citoyens, que tout se vaut, que personne ne comprend à quoi servent nos institutions qui craquent de toutes parts. Ceux-là ont hélas la mémoire courte … ou pas de mémoire du tout.
La faute à plusieurs facteurs : autocensure généralisée de nos enseignants qui oublient de parler des enjeux comme des combats de jadis pour la liberté d’expression politique et la République, absence de tradition familiale, médiocrité de certaines personnalités de la classe politique, etc... Et aussi : effondrement des corps intermédiaires (partis politiques, syndicats, cercles religieux), absence d'une alternative oppositionnelle véritablement crédible, idées complotistes diffusées à foison, indifférence et ignorance de l'Histoire, discours politiques sans intérêt, absence de leaders clairement identifiés et qui se chamaillant sans cesse, préférence pour le confort individuel …
Il va falloir jouer sur ces différents leviers pour modifier cette tendance lourde. Sans doute remettre à plat le mille-feuille des institutions. Et ce n’est pas gagné !
Comment comprendre qu'une telle masse de gens se mettent volontairement en marge de notre destin commun ? Mais en tous cas, prenons en compte sans barguigner ceux qui ont pris le temps de choisir et respectons leur vote, quel qu’il soit.
Gloire et merci aux électeurs, les purs et les durs !