28 décembre 2021
Elise et les nouveaux partisans, BD de Dominique Grange et Jacques Tardi
Mes enfants connaissent mes goûts littéraires et gustatifs …
J’ai ainsi reçu de nombreux ouvrages à Noël et tout spécialement des BD – oups, il faut dire romans graphiques – et des livres sur la gastronomie.
Je n’ai pas résisté au charme de Jacques Tardi avec lequel j’entretiens un lien subtil.
Elise - référence évidente au roman émouvant de Claire Etcherelli publié en 1967 chez Denoël – est le modèle de femme que Tardi reproduit dans tous ses ouvrages : les cheveux au carré, la frange fournie, la bouche boudeuse.
On la retrouve dans tous ses chefs-d’œuvre, dans les adaptations de J-P Manchette, dans le fracassant « Cri du peuple », les épopées des sales guerres, celle de 14, l’histoire de son père prisonnier dans le même Stalag 2B que le mien … Tardi toujours du côté des humiliés, des pourchassés, des bastonnés, des écrasés, des emprisonnés.
Voici donc l’autobiographie de Dominique Grange, chanteuse « engagée » et militante maoïste toujours aussi révoltée (elle est née en 1940). Un roman graphique conçu à quatre mains décrivant les grandes heures de la Gauche prolétarienne – et de ses multiples avatars - sur les thèmes qui subsistent : la misèrrre (référence : Coluche !), l’exploitation des ouvriers, les conditions inhumaines d’accueil des immigrés, les ratonnades pendant la guerre d’Algérie, les bavures policières qui sont parfois de purs et simples assassinats.
L’ouvrage est dédié à ces martyrs que furent Gilles Tautin (1968), Pierre Overney (1972), Benoît Leroux (1978), Catherine Grupper (2019), sans oublier Malik Oussekine …
Une histoire que j’ai vécue, mais de loin. Car en mai 1968, j’étais confinée dans ma chambre, terrassée par une tuberculose du genre galopante.
J’écoutais en continu la radio Europe Numéro 1, on savait ce qui se passait, malgré le contrôle étroit de l’information par les pouvoirs politiques. Mais à vrai dire, j’ai découvert dans ce livre l’étendue du fossé idéologique s’élargissant entre les petits bourgeois ordinaires (dont j’étais) et les enragés des différents mouvements révolutionnaires.
Une lutte utopique, finalement autodissoute par manque de moyens, de leader suffisamment charismatique, un combat sans issue des corps contre les bidules des CRS, la dureté des peines encourues, la tristesse de la vie clandestine, le désenchantement engendrant des ressentiments qui réapparaissent aujourd’hui dans la génération des enfants de ces révolutionnaires aussi violents que crédules car maintes fois manipulés.
Les auteurs se sentent certainement un devoir de rappeler aux jeunes générations cette tragique période de notre histoire. Cela les honore.
Le propos des auteurs est de montrer que les batailles menées par l'héroïne et ses camarades de luttes "l’ont été pour des causes justes et auront sans doute contribué à faire avancer (voire à faire émerger) certaines idées démocratiques dans notre pays". Pour ma part, je n’en suis pas si sûre. Le chemin pour l’émancipation de ceux et celles qui vivent dans des conditions indignes est encore loin d’aboutir, mais il ne faut pas désespérer …
Il reste surtout le fantastique graphisme de Jacques Tardi, ses vues de Paris et de ses mouvements de foule encore mieux rendus que les images d’actualité de l’époque en noir et blanc.
J’ai tout de même voulu écouter la chanson de Dominique Grange qui donne le titre au roman. Il faut s’accrocher : rien à voir avec le chant des Partisans de Joseph Kessel et Maurice Druon, sur la musique d’Anna Marly, hymne de la Résistance contre les nazis. L’amour rend aveugle … ou parfois sourd !
Elise et les nouveaux partisans, roman graphique de Dominique Grange et Jacques Tardi, publié chez Delcourt, 176 p., 25€