Le Christ recrucifié, roman de Nikos Kazantzaki (1948)
Un des ivres qui m'a e plus intéressé depuis le début d'année.
Pourquoi exhumer un chef-d'oeuvre rédigé en 1948 par un des piliers de la littérature européenne : Nikos Kazanztaki(s) (1883 – 1957), dont l’œuvre la plus célèbre demeure Alexis Zorba, magistralement incarné à l’écran par Antony Quinn en 1964 ?
Parce que c’est le premier roman que j’ai lu en classe de seconde et que je l’avais totalement oublié alors que c’est LE livre qui déclencha mon addiction à la lecture.
Plusieurs de mes condisciples en parlaient, je me le suis procuré à la bibliothèque … et je ne l’ai plus lâché. A l’époque comme aujourd’hui, cette histoire cruelle de village grec en pleine Anatolie ottomane m’a captivée.
Plus encore aujourd'hui car les passions qui s’y déchaînent résonnent avec l’actualité la plus tragique que nous subissons.
Intolérance, réfugiés que l’on repousse et affame, appétits de pouvoir, avarice morbide, concupiscence, mais aussi amour de Dieu, foi orthodoxe omniprésente, générosité sans espoir de retour, héroïsme, désir de vengeance …
Tout est poussé à l’extrême dans une tragédie antique respectant les critères classiques de temps – une année - vraisemblablement 1922 - et de lieu, le village prospère de Lycovrissi, à une journée de marche de Smyrne.
En ce lieu, tous les 7 ans, la communauté exclusivement grecque mais placée sous l’autorité de l’Agha turc, met en scène la Passion et désigne, à la Noël précédente, les villageois qui vont en incarner les principaux acteurs : . Cette année-là, ils choisissent Manolios, un jeune berger blond, ancien novice dans un monastère, employé par le noble chef du village, pour incarner Jésus.
Tout bascule alors qu’une troupe d’affamés conduite par leur pope Photis, des réfugiés chassés de leur village dévasté par les Turcs, viennent demander secours. Le fier et replet pope du village, Grigoris, les refoule avec morgue, ils sont contraints de se réfugier dans la montagne, au fond d’anciennes grottes ouvertes à tous vents. La tragédie commence entre ces deux facettes de la cléricature, celle du Bien et celle du Mal. Seuls les plus modestes des villageois, justement ceux qui ont été désignés pour figurer la Passion du Christ, vont accepter de porter assistance aux réfugiés.
Richesse des personnages – les illuminés qui donnent tout, même leur vie comme les plus cruels d’entre eux – et l’Aga n’est pas le pire – retournements inattendus, suspens, complexité de la situation politique de la Turquie humiliée par sa défaite aux côtés des Puissances centrales après les traités de Sèvres et de Lausanne, crainte des bolcheviks ...
La folie guerrière continue aujourd’hui, rien ne change …
Le Christ recrucifié, roman de Nikos Kazantzaki – traduit du Grec par René Bouchet, publié chez Babel, 606 p., 11,50€.