Regardez-nous danser, roman de Leîma Slimani (Le pays des autres 2)
Je me replonge avec délices dans la saga de la famille Belhadj, après le premier épisode qui racontait comment Mathilde l’Alsacienne a été conquise par Amine, le beau spahi marocain, qu’elle a suivi sur les terres héritées de ses pères aux alentours de Meknès.
A force de travail acharné, Amine a réussi à créer un domaine agricole prospère, Mathilde s’occupe à soulager la misère des paysans en animant un dispensaire. Même si elle est devenue une notabilité, elle se voit comme prise au piège de cette vie âpre, les relations avec son mari, volage, deviennent difficiles. Tous ses espoirs se portent sur la réussite de ses enfants, Aïcha et Sélim, au parcours contrasté.
La principale héroïne de ce volet de la trilogie est Aïcha, jeune femme discrète, voire effacée, qui poursuit à Strasbourg de brillantes études de médecine. Sélim, lui, ne réussit pas aussi bien et rêve de partir aux Etats-Unis.
Chaque personnage de cette famille attachante a sa propre histoire, contée avec délicatesse et talent par l’autrice. Son style d’une grande clarté replace cette famille dans le cadre du Maroc indépendant, mais terriblement marqué par la colonisation intellectuelle et culturelle, tiraillé entre traditions et modernité, souffrant d’inégalités criantes et croissantes, en quête de démocratie mais dirigé par une main de fer.
Les liens avec la France sont toujours présents, mais les aspirations de la jeunesse pour plus de libertés se heurtent aux nécessités politiques d’un roi descendant du Prophète, et auquel est attribuée la « baraka » qui l’a protégé à l’occasion de plusieurs attentats.
A chaque page, on assiste au heurt de deux conceptions, deux générations, deux mondes que bien des contradictions opposent. Encore un exemple des conséquences de la colonisation, même dans un pays comme le Maroc qui ne fut jamais totalement conquis et a conservé son extraordinaire civilisation.
Pour moi aussi, un rappel de souvenirs : mes parents y ont vécu entre 1932 et 1944, à Meknès comme à Casablanca. J’y ai emmené mon père plusieurs décennies après son départ, avec une immense émotion. J’ai retrouvé dans cette narration les odeurs, les sons et les couleurs de ce voyage mémoriel. J’ai adoré cette lecture et attends avec patience le troisième volet de la saga.
Regardez-nous danser, roman de Leïla Slimani, édité chez Gallimard, 368 p., 21€.