Affaire terminée, j'arrive ! - Chapitre 10 (2)
Chapitre
10 (2) Pierrette et Zizou (suite)
Voilà comment j'ai connu Zizou – de son vrai nom Dorothée Martin - qui a été pour moi
merveilleuse. Avec Pierrette, les relations s'étaient en effet espacées. Son
mari s'était évadé de France dans les débuts de la guerre. A partir du moment
où Roger était rentré, je n'ai plus vu Pierrette, et lorsqu'elle a constaté que
Zizou m'avait pour ainsi dire prise sous sa protection, elle a jugé sans doute
que je n'avais plus besoin d'elle. Elle, en tous cas, n'avait plus besoin de
moi. Et puis, elle avait son mari, je n’étais pas femme à m’imposer.
Le boucher, qui s'appelait Charlemagne, tenait un stand au marché. Nous devions être au bureau à huit
heures et demie. Nous partions de la maison en vélo toutes les deux à neuf
heures et quart, en passant par le marché. Chez Charlemagne, Zizou demandait:
- Tu sais, il faut que tu nous
donnes de la viande, parce que le mari de mon amie est prisonnier, il faut
absolument que tu nous donnes un kilo de beefsteak.
- Qu'est-ce que tu as à manger
aujourd'hui pour Claudie ? Je t'envoie un blanc de poulet. Elle me faisait
porter un demi-poulet.
- Si, si, si, il faut quelle mange,
cette petite !
Ainsi, j'avais toujours mon morceau. En le payant, bien entendu, mais j'étais le prétexte, et mon mari
prisonnier servait de sésame. Elle connaissait tous les petits colporteurs, les
artisans juifs, on rencontrait une foule de gens :
- Madame Dejoie, tu sais, on a arrêté Perle, ma sœur, qui racolait. Tu ne pourrais pas en parler à Monsieur
Dejoie, pour la faire sortir?
- Dis donc, tu n'as pas des gigots,
par hasard ? Porte-m'en un et puis j'en parlerai à mon mari. N'est-ce pas Lulu,
on n'oubliera pas d'en parler ?
- Oh, pas du tout !
Zizou m'avait donc prise sous son aile. Elle me demandait :
- Qu'est-ce que tu as à manger
aujourd'hui pour Claudie ? Je t'envoie un blanc de poulet. Elle me faisait
porter un demi-poulet.
- Si, si, si, il faut quelle mange,
cette petite !
J'avais reçu
début décembre la lettre de Jean me disant qu'il avait été repris à quelques
mètres de la frontière, mais "qu'il ferait comme le coureur" (c'est à
dire mieux la prochaine fois). Ce soir-là, Guy Dejoie sonne à ma porte:
- Lulu, je vous
emmène. Je prends la petite sur mon porte-bagages, vous prenez le vélo et vous
venez passer la Noël chez Pâquerette, la sœur de Zizou. Zizou m'a interdit de
revenir si je ne vous ai pas toutes les deux avec moi. J'ai ainsi passé une soirée
que je n'oublierai jamais.
- Tiens, mince, disait Zizou, j'ai sauté une page Quelle pagaille!
Zizou, elle, ne pensait sérieusement
qu’au ravitaillement. Et puis à ses histoires avec Michel ou avec Zagouri,
parce que de temps en temps, celui-ci lui coupait les vivres. Régulièrement,
elle prétendait qu’elle ne pouvait plus le supporter, et puis quinze jours après,
elle se demandait comment faire pour le raccrocher.
Elle allait le voir et lui racontait
qu’on lui avait volé son vélo…Combien de fois ne lui a-t-il pas payé un
« nouveau » vélo ?
- Je vous le paye encore une fois, mais faites donc attention !
L'argent, elle le dépensait, ou elle le donnait, à Michel par exemple. Guy ne s'est jamais douté de rien. Michel était son grand copain.
Quand il a monté sa guinguette, Guy a avalisé les traites. Et comme Michel
était plus cavaleur que travailleur, c'est Guy et Zizou qui ont payé les
traites ... Mais en revanche, quand les américains sont venus, la guinguette
lui a fait gagner un argent fou, mais Michel avait laissé tomber Zizou, qui
entre temps avait connu Doudou. Le temps passant, Guy avait décidé qu'il en
avait assez d'être inspecteur des mœurs, et a voulu partir à la guerre. Il
s'est engagé. A partir de ce moment là, on allait toujours chez Charlemagne,
mais on disait:
- Ah ! Tu sais, Guy est parti. Il aurait pu rester ici, non, il a fallu qu'il aille faire la guerre, et moi je me retrouve seule, avec Madame Mens dont le mari est prisonnier, il faut que tu nous donnes de la viande .... etc..
Nous la payions, naturellement. Et cela marchait toujours.
C'est qu'il nous en fallait beaucoup car chez Zizou, on tenait table ouverte.
Il y avait sa sœur Pâquerette et son mari, et puis déjà le Colonel Lesimple qui
alors n’était que son amant. C’était la grande famille, avec moi au milieu.