17 mai 2008
Histoire de Jacqueline et Pierre - Partie deux
La bureaucratie gouvernant l’Espagne franquiste, le petit évadé
français reçoit le 28 juin 1943, à Barbastro, une carte d’alimentation
(« cartilla individual de racionamento »). Il y a bien une carte
d’alimentation, certes, mais il n’y a rien à manger.
Quelques jours après, Pierre est transféré à Miranda de
Ebro. C’est un camp d’internement, créé en 1937 au cœur de la Castille
franquiste pour enfermer les Républicains. Les évadés de France, comme les
autres détenus, sont soumis à un régime de famine. Pire encore : l’hygiène
y est inexistante. Il y a un point d’eau pour 3000 détenus dans le quartier des
Français, et la plupart des détenus conserveront, comme Pierre, des séquelles
médicales de leur séjour.
Pierre y passe un long hiver, dans le vent glacé du plateau
castillan. Cependant, comme tous ses compagnons français qui ont réussi la
traversée des Pyrénées, il sait que les Espagnols ne l’extraderont pas en
France occupée, et même le relâcheront un jour ou l’autre.
Franco, malgré l’aide que lui ont apportée en 1936
l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste, ne collabore pas avec ces puissances,
même entre 40 et 42, quand tout semble leur réussir. Dès le début 43, la
défaite allemande à Stalingrad le conforte dans sa prudente neutralité. Les
Américains et les Britanniques négocient avec lui certaines facilités
économiques et militaires, notamment l’exfiltration des évadés de France, parmi
lesquels, d’ailleurs, se trouvent des pilotes anglo-américains abattus en
France, et bien sûr les Français qui veulent rejoindre la France combattante en
Afrique du Nord.
Deux poutrelles
d’acier et deux sacs de ciment
C’est ainsi qu’un jour, Pierre est emmené par les gardiens
vers un train. Pas d’explication, bien sur, mais le train roule vers le sud.
Pierre a gardé le souvenir d’une Espagne totalement désolée, ravagée par la
guerre. C’était particulièrement vrai pour Madrid, assiégée pendant 3 ans, et
bombardée chaque nuit pendant les offensives.
Mais à Madrid, l’ambiance change : plus de surveillance
étroite, « Vous allez chez De Gaulle » ; les jeunes gens sont
réceptionnés par la CROIX-ROUGE américaine et par les représentants de la France Libre,
A Malaga, Pierre et ses copains ont une nuit à
passer ; comme tous les jeunes gens, ils trouvent sans peine les lieux où
l’on s’amuse. On imagine leur bonheur, après plusieurs mois de privations. Le
bonheur peut avoir ses pièges : Pierre, qui n’avait pas bu une goutte
d’alcool depuis six mois, a forcé sur le vin local, et s’est endormi
profondément dans les bras d’une jeune beauté mercenaire. Il se retrouve au
réveil sans costume, ni chaussures, ni argent. La petite demoiselle qui était sensée
passer la nuit avec lui, a tout emporté. On lui prête des vêtements, et il va à
la Police. Là, on lui montre une demoiselle, qui est justement sa compagne de
la nuit. Et il refuse de la reconnaître, imaginant quelles lourdes conséquences
son témoignage pourrait avoir dans cet Etat policier. La générosité, c’est déjà
le trait dominant de Pierre !
La Première Armée
française
Pierre, qui a déjà subi l’entrainement d’un chasseur alpin, recommence tout dans un Régiment de Zouaves. Départ vers la montagne de l’Atlas, exercice intensif et nourriture solide, de quoi oublier les miasmes de Miranda. Pierre, qui a une formation en électricité, est transmetteur, à l’état-major d’un régiment d’infanterie qui va « voir du Pays ».
De Lattre est aussi le seul à savoir qu’il faut préparer sa
Ière Armée française à débarquer en France, avec les alliés américains et
britanniques, et à en chasser l’occupant. Et il la prépare bien. Dotés de
matériel américain, travaillant sans relâche pendant l’hiver 43-44 et le
printemps suivant, les soldats de la Ière Armée sont prêts quand on les envoie
le 15 aout 1944 sur les côtes de la Provence.
Pour Pierre, c’est le baptême du feu, à Agay, le 15 aout,
puis, pour la libération de Marseille, le 29 aout 1944. La remontée de la
vallée du Rhône, puis de la Franche-Comté, se feront sans trop de drames,
disait Pierre. Des jeunes des maquis (Forces Françaises de l’Intérieur)
s’engagent sur le trajet. Moins entraînés, mal équipés, ils ont besoin de
l’attention des « anciens », qui, comme Pierre, n’ont pas plus de 23
ans.
Les Allemands se replient, sans trop insister jusqu’à une
ligne précise : la frontière du Haut-Rhin, au sud de Mulhouse, où, pour
eux, commence la « Heimat », la Patrie allemande. A partir de là, ils
pratiquent une défense acharnée. Ils vont défendre l’Alsace tout un hiver, avec
ce qui leur reste de bonnes troupes, d’armes et de matériels, avec aussi, pour
beaucoup d’entre eux, l’expérience de cinq années de guerre, dont quatre en
Russie.
Pierre se souviendra toujours du 2 février 1945 : c’est le jour de l’anniversaire du Général de Lattre, et c’est le jour où la Ière Armée est venue à bout de la poche de résistance de Colmar. La belle ville de Colmar, vouée aux fastes militaires depuis que Louis XIV y a pris pied au nom de la France en 1648, garde encore dans ses façades la trace de ce combat terrible. Pierre, petit transmetteur dans un régiment, est en première ligne et pense sa dernière heure arrivée.
Quand elle traverse ce qui a été une ville, son unité
blindée marche au milieu des ruines ; les rues, les chemins, ne sont plus
tracés. Il n’y a plus de résistance organisée, mais il faut se méfier des
pièges et de jeunes combattants fanatisés. Dans les ruines d’une maison,
Pierre, comme beaucoup de ses copains, ramasse et garde en souvenir un fusil
allemand « Mauser », qu’il a ramené lors de sa démobilisation, et
conservé toute sa vie chez lui. J’ai recueilli cet héritage, non sans avoir,
conformément au Règlement militaire, séparé une « pièce essentielle »
de l’arme.
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