...ou le monde selon Sollers

C’est un beau livre que nous offre Philippe Sollers. Un très beau livre même, car il manie les mots de façon douce et savoureuse, parfois étincelante, comme son modèle James Joyce dans Ulysse. Ces voyageurs du temps, ce sont les peintres, les musiciens et les écrivains qui nous introduisent à la beauté du monde, ou à son incompréhensible dérèglement : Bach, Mozart, Goya, Hölderlin, Rimbaud, Lautréamont , Breton, et bien d’autres.

Amoureux de ces créateurs, Sollers est heureux, dans les décors qu’il s’est créés : le Jardin du Luxembourg, la Place Saint Thomas d'Aquin, le bord de l'Atlantique : « il faut écouter Glenn Gould de très près, de préférence une fin d’après midi d’été, devant un paysage ouvert sur l’océan, les oiseaux, le sel. Le vieux Bach sourit. Vous entrez avec lui dans la nature, vous la devenez dans ses moindres détails, brins d’herbe, cailloux, becs, ailes, marée, lumières à droite et à gauche… ». ou encore :  « Fleurs et fruits : j’aime le jeu du français entre s et z : cerises, fraises, framboises, groseilles (on les mange en les disant ». Ce bonheur de vivre est le personnage principal de ce roman de 250 pages.

Mais voilà, « les parasites vivent sur la bête », c'est-à-dire que ce monde, qui pourrait être si beau, est gâché par le prêt à penser, les clergés et leurs dogmes,  la consommation et la publicité, l’agressivité, la cupidité : « faites un montage rapide : n’importe quelle salle en folie de la Bourse et, aussitôt après, Saturne dévorant ses enfants de Goya ».

« Il y a les sorcières et il y a les fées ».

Les "Voyageurs du temps", c'est le combat des unes et des autres:  les fées peuvent gagner, grâce à l'art, mais elles ne sont pas invincibles, comme la lecture de votre quotidien favori vous le prouve.

Justement, lisez Sollers ; en ce moment, ça fait du bien.