Dans l'ombre, thriller politique d'Edouard Philippe et Gilles Boyer
C’est un thriller de politique-fiction, co-écrit par deux des hommes les plus proches d’un de nos plus prestigieux ex-premier-ministre. Il décrit la dernière ligne droite d’une élection présidentielle, racontée par l’apparatchik le plus intime, celui en qui le Patron a une confiance absolue, celui qui donne les derniers conseils, qui ose parfois ne pas être d’accord … mais pas souvent. C'est le portrait de Gilles Boyer, dont il y a peu nous faisions la connaissance dans "Lapins et merveilles" de Gaël Tchakaloff. Mais ça, c'était avant ...
Inutile de chercher les clés de ce roman car les personnages sont le résultat de collages. On en retrouve toutefois quelques-unes, mais là n’est pas l’intérêt de cette fiction plus vraie que nature. Car le plus étonnant est que ce gros pavé a été écrit en 2010, donc avant les primaires de la droite et du centre, avant les affaires de trucage de l‘élection à la présidence du parti gaulliste, avant les révélations qui ont mis en pièces un candidat victorieux à une primaire et qui ne pouvait que gagner la présidentielle, dézingué vraisemblablement par des hommes – ou des femmes – de son propre camp.
C’est une plongée en apnée dans le premier cercle des ténors de la politique, au milieu de ceux qui forment l’entourage, les parasites, les petites mains, les barons encombrants, les hommes de la sécurité … Une règle immuable : plus l’élu devient important, plus ceux qui l’entourent se divisent.
L’intrigue tourne autour d’une rumeur, qui éclot au lendemain du résultat serré de la primaire : le scrutin électronique aurait été truqué. Cette rumeur est-elle fondée, et si oui, qui a intérêt à la répandre : l’homme du parti adverse ou la candidate arrivée seconde à la primaire ? Le narrateur va s’efforcer de remonter de bien minces pistes, aidé en cela par un jeune militant, fils hyperdoué d’un parlementaire disparu depuis de nombreuses années.
Au-delà des personnages croqués à l’acide, tous gratifiés de pseudonymes, on mesure combien, dans une campagne présidentielle, il est plus difficile de manœuvrer les Barons que de contrer les arguments des adversaires. « Ceux qu’il vaut mieux avoir dedans à pisser dehors que dehors à pisser dedans ». Comment concocter les investitures qui seront gagnantes aux législatives qui suivent la présidentielle, comment organiser un meeting monstre à la veille du second tour …
Le rôle de l’homme de l’ombre ne consiste pas seulement à acquiescer d’un sourire aux idées du chef mais plutôt à les discuter sérieusement. Ce roman, c’est la complainte désabusée de l’apparatchik, rouage indispensable à une campagne électorale majeure, et qui ne le devient plus dès l’instant où son patron est devenu Président.
Un roman noir, prémonitoire, superbement documenté, au style élégant et percutant … haletant. Savoir qu’il a été écrit en grande partie par notre actuel Premier ministre en souligne tout l’intérêt.
Dans l’ombre, thriller politique d’Edouard Philippe et Gilles Boyer, édité par JC Lattès, 567 p., 22€