Même si le créateur du personnage de Bernie Gunther – trop tôt décédé au printemps 2018 à l’âge de 62 ans – nous a quittés, il reste encore dans les archives de son éditeur britannique plusieurs textes qui font revivre son parfait anti-héros du XXème siècle, avec son humour dévastateur, sa trajectoire complexe et son honnêteté intellectuelle inentamée.

Cet épisode se situe en 1957.

Bernie Gunther vit à présent à Munich sous l’identité de Christof Ganz, il a donc 61 ans, mais porte encore beau. Traqué de partout, il travaille de nuit à la morgue de l’hôpital de Schwabing, où ses compagnons ne sont pas très causants …

Il va renouer bien involontairement avec son passé en retrouvant une de ses connaissances, l’avocat Max Merten, qui lui doit une fière chandelle et lui procure un emploi nettement mieux en rapport avec ses talents d’enquêteur : celui d’inspecteur des dossiers de sinistres de la compagnie allemande d’assurances Munich Re. Un vrai salaire, des notes de frais, une voiture de fonction … Le premier dossier que Bernie dénoue à son avantage le fait remarquer, on va lui en confier un beaucoup plus important, qui va le mener à Athènes, sur les traces d’un voilier ayant coulé lors d’une campagne de fouilles archéologiques.

Il s’avère que le propriétaire de ce navire, qui en réclame le remboursement, est un ancien soldat de la Wehrmacht, qui avait acheté à vil prix le bateau à un juif de Salonique juste avant sa déportation avec des milliers d’autres à Auschwitz. Pire encore, avant même d’avoir touché son chèque que Bernie et son associé grec pétochard viennent lui apporter, cet homme est retrouvé assassiné … Les trouvant sur les lieux du crime, la police athénienne les considère comme suspects.

« Timeo Danaos et dona ferentes » (Je crains les Grecs, surtout lorsqu’ils apportent des cadeaux) donne son titre au roman en V.O. Le nouveau job de Bernie Gunther va se révéler bien plus complexe et dangereux que prévu, et il y fait l’expérience des ressentiments des Grecs à l’encontre des Allemands, la résurgence des atrocités commises par les nazis, les magouilles politiques entre l’Allemagne fédérale et le gouvernement grec, bref, un contexte particulièrement touffu mais non dénué de charme grâce à la présence de la belle Elli. Qui manipule qui, pour qui, en faveur de quelle cause … Les perspectives du Traité de Rome tout juste conclu avec les six premiers membres de la CEE, le manteau de Noé jeté sur les trajectoires des dirigeants ouest-allemand au motif de la nécessaire renaissance de la RFA … Cette dernière aventure de la carrière de Bernie Gunther plonge le lecteur dans une époque bien touffue …

Une occasion aussi de se remémorer toutes les affaires qui ont jalonné la carrière de Bernie Gunther à travers l’Europe, avant, pendant et après la guerre … et de constater que, même passé la soixantaine, il reste un très séduisant homme d’action.

L’offrande grecque (Greeks Bearing Gifts), thriller historique de Philip Kerr traduit de l’anglais par Jean Esch, au Seuil, 474 p., 22,50€