Quelques souvenirs personnels en guise d’introduction : je me suis ennuyée comme un rat mort en classe terminale de philosophie en 1964.

Et puis, lors de ma première année d’études supérieures, j’ai découvert les enseignements de Jean-Jacques Chevallier (1900 – 1983), Charles Morazé (1913 – 2003), René Rémond (1918 – 2007) et Raymond Barre (1924 – 2007) : la découverte de l’économie fut pour moi un éblouissement.

Et aussi une rancune tenace vis-à-vis de mes années de lycée pendant lesquelles personne ne nous avait parlé d’économie, sauf quelques bribes à l’occasion du chapitre sur la Grande dépression de 1929.

Disciple de Fernand Braudel (1902 - 1985) et Daniel Cohen (1953 – 2023), Charles Serfaty - né en 1992, économiste à la banque de France - délivre ici un document monumental.

Je l’ai dévoré dans un souffle et y ai trouvé bien des réponses à mes interrogations plus contemporaines.

S’appuyant sur des travaux très récents, recalculant des séries statistiques originales puisées aux meilleurs sources internationales, il retrace de façon claire et accessible l’épopée de la situation économique de la France à travers les siècles et en dégage les grandes tendances, qui apparaissent avec le recul encore terriblement prégnantes …

Difficultés du consentement à l’impôt (voir la biographie de Louis XVI) et refus des classes dirigeantes à contribuer, écrasement de la population paysanne restée si longtemps prépondérante, persistance du déficit budgétaire et des expédients pour y échapper (hausse des taxes indirectes, emprunts à l’étranger, défaut de paiement et/ou banqueroute partielle, vente des "biens nationaux", dévaluations à répétition ou politique d’austérité …).

Des constantes qui montrent cependant des limites : grâce à une population nombreuse et très répartie, à sa relativement faible exposition aux aléas du commerce international et à son développement industriel tardif, à son système très centralisateur, la France a réussi a maintenir une économie relativement prospère mais surtout terriblement inégalitaire – sauf pendant les "trente Glorieuses" -  malgré les cataclysmes auxquelles elle a été confrontée : les guerres révolutionnaires puis napoléoniennes, l’indemnité due à l’Allemagne en 1871, les destructions physiques et les saignées humaines de la « guerre de Trente ans » entre 1914 et 1944, les chocs pétroliers et la grande crise financière de 2008 …

Il n’est pas indifférent de voir se dérouler devant nous en ce moment la révolte des exploitants agricoles … Des siècles de négligences et de politiques contradictoires sont en cause et ce n’est certainement pas en quelques mois, même avec la meilleure volonté du monde, qu’une solution équitable sera mise en œuvre.

Ce livre est une source inépuisable d’informations pertinentes, d’appréciations circonstanciées sur les politiques successives (mercantilisme, protectionnisme, physiocratie, libéralisme, nationalisations, austérité, attachement funeste à l'étalon-or, manipulations monétaires, politique industrielle, adhésion à l'Union européenne et à l'Euro) appliquées par les gouvernements successifs (de droite comme de gauche) pour rendre, en toute  bonne foi mais pas toujours suivant les meilleures techniques, la vie meilleure aux Français et une place prépondérante de la France dans le concert des grandes puissances – ce qu’elle n’est plus aujourd’hui.

Un ouvrage à donner à lire en priorité à tous les jeunes élèves qui s’apprêtent à entreprendre des études de sciences politiques et qui auront à cœur de mieux comprendre le monde dans lequel ils vont avoir à se défendre et à défendre leur pays.

Avec un jugement très courageux sur la politique industrielle du Général de Gaulle … et pas si négatif sur celle de François Mitterrand !

Histoire économique de la France, de la Gaule à nos jours, essai de Charles Serfaty, publié chez Passés/Composés, 522 p., 27€